Dans un futur proche, on ne trouvera plus sur les brocantes que des objets électroniques dépassés, dépourvus de toute utilité, y compris esthétique ; des meubles IKEA délabrés, des vêtements en polyester dont une startup prétendra qu’on pourra bientôt en recycler le pétrole pour faire rouler des mobylettes.
Il y aura aussi sur les étals des braderies de la camelotte issue de chez Action, Noze et consorts, parfois encore dans son emballage d’origine, preuve flagrante de son inutilité. La principale qualité de ces artefacts sera d’avoir survécu à l’obsolescence programmée. Des objets conçus sans amour par des entreprises à bout de souffle, qui lancent des produits par dépit, comme ces couples qui conçoivent un enfant supplémentaire pour essayer de sauver leur union. Des objets sans histoire, si ce n’est celle de la mondialisation et du gâchis décomplexé qui caractérisent la société de consommation.
On n’a jamais été si matérialiste, et pourtant si peu attachés à nos affaires, pourvu qu’on puisse les remplacer par un modèle plus récent, plus performant ou aux couleurs du moment.
Il faut quand même saluer la prouesse. Quand on consomme, on exulte deux fois : la première quand on sort du magasin avec du brol plein les bras, comme disent les Belges, et la deuxième quand on s’en sépare pour faire de la place dans les placards, après avoir eu une épiphanie en lisant Marie Kondo.
Bien sûr, il restera de beaux objets. Mais ceux-ci ne s’exposeront plus sur les brocantes, offerts à ceux qui se lèvent tôt et ont l’œil. Internet permet de connaître la cote de toute chose en temps réel, et de liquider à prix fort les trésors cachés dans les greniers. Sur une braderie, on fait parfois un bonne affaire, non parce que le vendeur ignore que l’objet est recherché, mais parce qu’il veut savoir chez qui le meuble de son aïeul ou les jouets de son enfance iront poursuivre leur vie. Mais, ça, c’est bientôt fini. Il faut capter la valeur, prendre sa commission.
Il faut travailler plus pour sauver le système, et puis il faudra bientôt consommer plus pour écouler tout ce qui a été produit. Économie circulaire : on tourne en rond.
Depuis tout petit, j’ai la faiblesse d’aimer les choses, d’en prendre soin, d’être malade à l’idée de les perdre ou de les abîmer. Et si je ne fais plus beaucoup de bonnes affaires dans les brocantes, il m’arrive encore d’être touché par la grâce d’un objet qui a traversé le temps. De la mort d’un grand-père, on se console en se rappelant qu’il a bien vécu. Dans un monde parallèle, matérialiste dans le bon sens du terme, on pourrait échanger pareille banalité avec son voisin en sortant les poubelles.